Thirst, ceci est mon sang

Après vous avoir présenté le mois dernier une rétrospective de l’ensemble des films de Park Chan-wook, nous allons vous parler, aujourd’hui, de la dernière création de ce virtuose réalisateur coréen. Sorti fin mai en Corée et actuellement en compétition à Cannes, le film « Bakjui » - « chauve-souris » en coréen, mais traduit en français par « Thirst, ceci est mon sang » - met en scène Song Kang-ho, l’un des acteurs fétiches de Park Chan-wook, et qui avait déjà brillé dans « JSA » et « Sympathy for Mr. Vengeance ». Song est accompagné de la jeune et belle Kim Ok-bin, dont c’est le premier rôle principal au cinéma. Après s’être essayé à la comédie teintée de poésie foutraque avec « Je suis un cyborg mais c’est pas grave », Park est retourné à un genre, plutôt rare dans le cinéma coréen, et qui convient sans doute mieux à son talent pour mettre en scène le sombre et l’étrange: le film de vampires.
« Bakjui » raconte l’histoire d’un prêtre qui, par ferveur chrétienne, se fait inoculer volontairement une maladie exotique dans un dispensaire en Afrique, maladie qui le laisse pour mort avant de le transformer peu à peu en... vampire, bien evidemment. De retour en Corée, il se découvre de nouveaux pouvoirs, une aversion pour la lumière, l’envie de piquer des roupillons au fond de cercueils, et une inextinguible soif de sang. (Cependant, à la différence de ses collègues des Carpathes et en bon vampire coréen qui se respecte, il ne semble avoir aucun problème avec l’ail...) Il parvient à contrôler ses pulsions et à reprendre sa charge de prêtre, jusqu’à ce qu’il tombe amoureux de l’une de ses ouailles, la lascive et attirante Tae-ju, une jeune femme mariée et paumée qui broie du noir dans sa belle-famille.
Gravement troublée et gravement troublante, Tae-ju entreprend de séduire le prêtre. Celui-ci, incapable de résister à ses irrésistibles désirs de sexe et de sang qui se mélangent et l’envahissent, finit par céder. Mordue par le prêtre, Tae-ju deviendra vampire elle-aussi. Si lui parvenait à se contrôler, elle n’en fait rien. Lui éprouvait une culpabilité toute chrétienne à assouvir sa soif de sang, elle n’éprouve que du pur plaisir. Ayant poussé jusqu’à l’extrême limite l’assouvissement de leurs désirs, il ne restera à ces amants maudits qu’une seule issue, un dénouement tragique et poignant à la hauteur du chaos qu’ils ont laissés derrière eux.
« Bakjui » est une histoire d’amour gore et de passion violente. Ce n’est ni une tragédie ni un film d’horreur – même si elle en emprunte certains codes. Malgré le caractère épouvantable de l’histoire, une distanciation s’opère à travers la musique et la nonchalance des dialogues : on a presque affaire ici à une comédie, noire certes. Le film est parfois très drôle, et lors de la projection il n’était pas rare d’entendre la salle rire à gorge déployée, entre deux frissons d’écoeurement. Car « Bakjui » est gore : pustules repoussantes, sang visqueux, auto-mutilation, abjects bruits de succion, le spectateur doit avoir le cœur bien accroché.
Dans la lignée de « Sympathy for Lady Vengeance », Park Chan-wook poursuit son exploration de l’imagerie et de l’univers chrétien, exploration qui s’accompagne du plaisir subversif d’y mélanger un fort et troublant érotisme. Cette histoire de vampires satisfait son goût prononcé pour les ambiances noires et gothiques, et son plaisir des intérieurs coréens sombres. Son talent pour créer une tension insoutenable est intact : avec Park Chan-wook, on ne sait jamais quand le coup va partir, et un bon plan finit souvent par un crâne qui s’éclate sur un bout de trottoir, ou des projections de sang noir sur les murs. Choix des plans, photo, lumière, musique, jeu d’acteur : techniquement, le film est superbe. Song Kang-ho est une fois de plus excellent en prêtre rongé par le désir, et son extraordinaire présence à l’écran rajoute beaucoup de densité au film.
Hélas, le scénario est mince, et il lui manque la profondeur d’un Old Boy, par exemple. « Bak-jui », c’est, au fond, de la série B. L’histoire est malheureusement linéaire, simple, prévisible. On ne parvient pas à s’attacher suffisamment aux personnages pour vraiment s’intéresser à leur sort. Mais les images sont belles, et grâce à son talent, Park Chan-wook sauve les meubles.





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