jeudi 29 juillet 2010

cinema coreen :Nat-sul

Voilà quelques semaines que nous vous présentons des films plutôt commerciaux ; mais notre choix d'aujourd'hui, « Nat-sul », ou encore « Daytime drinking », est un vrai film d'auteur, tourné avec un budget plus que limité, et des acteurs (encore) inconnus. C'est aussi un film drôle et réussi, qui passe la Corée au révélateur le plus efficace qui soit, celui du soju...

« Nat-sul » a été réalisé par le jeune réalisateur Noh Young-sok, dont c'est le premier long-métrage. Il nous entraîne dans l'odyssée la plus affligeante jamais imaginée, celle de Hyok-jin, un jeune Séoulite semi-dépressif qui vient de se faire plaquer par sa copine. Un ami, lors d'une soirée bien arrosée, réussit à le convaincre de partir à la campagne quelques jours pour se changer les idées : c'est le début d'un road-movie de looser, un voyage en plein hiver qui sera tout, sauf initiatique. Car Hyok-jin a le chic pour prendre systématiquement les mauvaises décisions, choisir le mauvais chemin, comprendre de travers, ou faire confiance à la mauvaise personne. Au cours de ses consternantes pérégrinations, il va perdre successivement son sac, son portefeuille, son pantalon, et, à plusieurs reprises, sa dignité. Par contre, il ne tirera guère de leçon de ses malheurs...

Le film se déroule dans les montagnes de la province de Gangwon, dans le nord-est de la Corée du Sud. C'est une véritable invitation au voyage, mais au voyage à la Nicolas Bouvier, à la dure, celui du temps perdu dans des gares routières grises et des gargotes crasseuses, celui des rencontres avec des personnages louches et des motels dépressifs. Une ode tordue au charme cafardeux des petites villes de campagnes de l'hiver coréen, désertes et solitaires, où le seul moyen de trouver du réconfort et de la chaleur humaine est de pousser la porte des petits restaurants, et de commander une bouteille de soju.

Le soju, pour ceux qui ne savent pas ce que c’est, est un alcool traditionnel coréen très bon marché, distillé à base de riz ou de patate douce. La Corée de « Nat-sul », ce n’est pas les paillettes artificielles du Sparkling Korea vendu par l'Office National du Tourisme : elle sent la sueur et les vapeurs d'alcool, elle fatigue de ses conversations d'ivrogne, et on y finit assommé par le soju dans un karaoké minable. Mais elle est vraie, vivante, et finalement attachante.

Hyok-jin va rencontrer toute une galerie de personnages, au mieux timbrés, sinon agressifs ou franchement inquiétants : pas une de ses rencontres ne sera là pour rattraper l'autre. Notre anti-héros est véritablement assailli par la bêtise de ses contemporains, et ce n'est pas la bouteille d'alcool qu'on sort à tout moment qui ne va arranger les choses. Tout juste les rend-elles plus supportables. Car l'alcool, « sul » en coréen, est le véritable sésame du film : il est le seul moyen de nouer des relations, de surmonter les gênes et les conventions sociales asphyxiantes, bref, de briser le carcan. Dans l'ambiance enfumée et sombre des « sul-jib (des petits bars) », l'atmosphère se réchauffe, les voix montent, les perles s'enfilent, tandis que les bouteilles vides s'entassent. On y entendra avec plaisir ces affirmations solennelles d'ivrogne, ces phrases telles : "il faut manger des vitamines, c'est vraiment essentiel pour la santé !", lancées entre deux bières, face à un cendrier qui déborde de mégots... Une peinture finalement subtile d'une société qui, pour affronter ses problèmes, a avant tout le réflexe de lever le coude.

Sorti en 2008, « Nat-sul » a été présenté à de nombreux festivals, et a même gagné divers prix à Jeonju, Locarno, et Vézoul. Le film est très bien servi par une belle photo, et une musique à la guitare, simple et réussie. Il est surtout très drôle. Perdu dans ce tourbillon de moments de gêne, de honte, de ridicule, le spectateur ne sait plus s'il faut en rire ou s'effarer. « Nat-sul » a été présenté comme un « road-movie paradoxal », c'est très bien vu : Hyok-sin ne va rien apprendre, et ne vas pas faire de découverte initiatique qui va bouleverser sa vie. Au mieux peut-il s'estimer heureux d'avoir réussi à retrouver son pantalon.

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