jeudi 29 juillet 2010

cinema coreen : Fly, Penguin

On doit à la réalisatrice Im Sun-rye nombre de films souvent discrets mais très réussis, parmi lesquels « Waikiki Brothers » et « Forever the moment ». Des films qui dressent avec délicatesse et sensibilité des portraits d'individus en apparence ordinaire, lui permettant de traiter avec beaucoup de justesse des problèmes de la société sud-coréenne d'aujourd'hui. Une justesse d'observation et un talent une nouvelle fois à l'œuvre dans son dernier long-métrage, sorti la semaine dernière, et intitulé « Fly, Penguin ». C'est le sujet de « Tout un cinéma » d'aujourd'hui, votre rendez-vous cinéma.

Le film « Nalala, penguin » s'ouvre sur l'histoire d'un petit garçon d'une dizaine d'année, Seung-yun. Fils unique dans une famille de classe moyenne, Seung-yun a pourtant déjà un emploi du temps de ministre : sa maman, interprétée par la grande actrice Moon So-ri, se consacre corps et âme à son éducation, et l'a inscrit dans une multitude de hakwons, ces instituts de cours privés qui pullulent en Corée du Sud, et sur les bancs desquels tous les jeunes Coréens viennent après les cours officiels s'y endormir et sacrifier leur enfance. Jamais à court d'idée, elle décide même que, dorénavant, on parlera anglais à la maison, et émaille toutes ses conversations de mots d'anglais prononcés avec un épais accent coréen... Le père n'oppose qu'une résistance molle à cette frénésie éducative qui n'est que la norme au pays du Matin clair ; sa femme aime son fils et est persuadée qu'elle fait ce qui est le mieux pour lui. Face aux immenses yeux tristes et interrogateurs de son enfant, le père ne peut que murmurer : « c'est pas grave ».

Puis le film change de centre d'intérêt, et se focalise sur Ju-hun, un employé de bureau fraîchement embauché. Ju-hun est un beau jeune homme, sensible et intelligent ; hélas, il cumule deux handicaps : il est végétarien, et ne peut pas boire d'alcool ! Deux tares difficilement surmontables au pays des « hwoe-sik », ces dîners et buveries obligatoires entre collègues. La réalisatrice s'attache avec talent à dépeindre la société coréenne au travers de ces dîners, où sévissent crétins de bureaux et autres abrutis d'entreprises qui sont persuadés qu'être un homme signifie pouvoir avaler des litres de « soju », un alcool très populaire à base de patate douce. Des dîners pendant lesquels la pression sociale se fait finalement encore plus violente qu'au bureau, et à la fin desquels on cherche à se débarrasser des collègues féminines pour aller, tous ensemble, dans les salons où se pratique le plus vieux métier du monde. Le film avance, les dîners s'enchaînent, et la pression dramatique monte. Une approche particulièrement intéressante : le conflit générationnel coréen n'est jamais autant évident que dans ces moments-là, et Ju-hun va apporter à la mécanique bien rodée des « hwoe-sik » un grain de sable plus que nécessaire, l'occasion au film d'offrir quelques scènes hilarantes inoubliables et jubilatoires.

Nouveau changement ; le film décide de s'intéresser à M. Kwon, le chef de service. M. Kwon est un « papa pingouin », c'est à dire un père de famille qui vit seul, et qui se saigne aux quatre veines pour permettre à ses deux enfants d'étudier aux Etats-Unis, accompagnés de sa femme. Hélas, le jour où sa famille revient le voir à Séoul, il retrouve deux enfants ingrats devenus étrangers, qui l'ignorent et refusent de passer du temps avec lui. Quant à sa femme, elle fait chambre à part, et le considère comme une simple pompe à fric, exploitable à merci. Pour elle, il n'est qu'un mauvais moment à passer, avant de retrouver sa vie au loin. Lui, trop lâche pour se rebeller, se résigne à sa situation en pleurant. Les fameux « hwoe-sik » apparaissent alors comme le seul moment de soulagement et d'interaction sociale, dans une véritable vie de chien. L'histoire de M. Kwon est sans doute l'épisode le plus cruel et le plus triste du film, et jette une lumière très sombre sur un phénomène de plus en plus courant au pays du Matin clair. Enfin, le film se conclut sur un dernier épisode, qui traite des problèmes du troisième âge, et raconte l'histoire du père de M. Kwon, dont les chamailleries conjugales incessantes donnent l'étrange impression d'une régression dans l'enfance, bouclant ainsi la boucle avec le premier épisode.

Le film s'intéresse ainsi successivement à quatre âges de la vie d'un sud-Coréen : son enfance, ses premiers pas d'adultes, sa détresse une fois atteint la cinquantaine, et sa vieillesse. Des vies finalement peu heureuses, hantées par la solitude et par des obligations sociales jamais remises en question, qui certes maintiennent une cohésion artificielle, mais qui rongent les âmes. Im Sun-rye est cruelle dans la justesse de ses observations, mais elle est aussi et souvent très, très drôle. Ce film riche est, avant tout, une comédie. Nombre de scènes sont hilarantes, et les acteurs sont à la hauteur des ambitions du film. Légère ombre au tableau, ce dernier, destiné au grand-public, est peut-être un peu trop didactique, et finit sur un happy end quelque peu factice : car « Fly, Penguin », l'un des meilleurs films coréens de l'année, est un film plus sombre qu'il n'y paraît.

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