« Bad Movie » : un film punk
2010-09-15
Passionnés de cinéma sud-coréen, le nom de Jang Sun-woo ne devrait pas vous laisser indifférents... Ce réalisateur de talent, né en 1952, a en effet produit, à partir des années 80 jusqu'au début des années 2000, nombre de films marquants du cinéma du Pays du Matin clair : on trouve parmi ces derniers "A Petal", "Lies", ou encore "Bad Movie". La salle de cinéma Seoul Art Cinema organise en ce moment même une rétrospective de ses œuvres, et nous profitons de cette occasion unique pour vous parler aujourd'hui de "Bad Movie". Un véritable ovni cinématographique, sorti en 1997, qui a atteint le statut de film-culte chez les cinéphiles sud-coréens.
Dès la scène d'ouverture, le spectateur est mis en garde. Sur des images un peu floues et mal cadrées, de gros sous-titres aux couleurs criardes annoncent la couleur : "pas de script", "pas de musique", bref, vous êtes prévenus : vous allez voir un mauvais film. Et pourtant. Car sous son esthétique faussement négligée, qui rappelle d'ailleurs celle du Dogme de Lars Von Trier, sous son apparent manque de scénario ou de construction dramatique, derrière ces plans mal coupés, ce son saturé recouvert de bruits, ou ces équipes de tournage qui apparaissent parfois à l'écran, se cache une grande maîtrise cinématographique. Jang Sun-woo fait ainsi preuve d'une créativité et d'une fraîcheur que le cinéma sud-coréen d'aujourd'hui semble avoir bien oublié.
"Bad Movie" prend au début l'apparence d'un documentaire. Comme si le réalisateur, se promenant dans Séoul avec sa caméra, était tombé sur une bande de jeunes paumés, et qu'il décidait de les suivre, au gré de ses humeurs. Il s'attarde sur un personnage, sur un groupe, puis sur un autre, sans intention apparente. Nous sommes en 1997, dans une Corée du Sud que l'on reconnaît à peine celle d'avant les téléphones portables omniprésents, et les starlettes reformatées. Quelques jeunes voyous, sans famille et sans diplômes, tentent de survivre dans un Séoul qui s'apprête à prendre de plein fouet la grande crise financière asiatique. Les jeunes garçons gagnent quelques wons en rackettant les passants, ou en travaillant la nuit dans des clubs. Leurs copines, elles, vont parfois dans les room salons, autrement dit des bars à hôtesses,vendre leurs corps à des pères de famille ivres en cravate. Le film dégage une noirceur qui paraît tellement véridique qu'elle vous prend à la gorge, qu'elle vous broie. Car ces jeunes sud-Coréens n'ont strictement aucun avenir, pas de futur, rien. "Bad Movie" est sans doute le seul film punk du cinéma sud-coréen.
Jang Sun-woo s'intéresse aussi aux sans-abri, abrutis de désespoir et d'alcool, qui peuplent la gare de Séoul. Il laisse sa caméra traîner dans les couloirs, et attrape au vol des scènes poignantes parmi ces marginaux noirs de crasse. Le réalisateur sait aussi faire preuve d'un humour froid, parfois burlesque, comme ce plan fixe hilarant devant les portillons du métro, où toute la bande fait une démonstration de l'étendue de leurs talents de resquilleurs. Mais le film est aussi souvent insoutenable. Interdit aux moins de 18 ans, il montre par exemple une scène de viol difficilement supportable. Car ces jeunes, dont on soupçonne qu'ils ont tous souffert de violences dans leur enfance, ne tardent pas à reproduire cette même violence entre eux. Un déchaînement dont, une fois de plus, les femmes sont les victimes finales.
Et c'est grâce à cette apparence de négligé, à cette illusion documentaire, que le film fait mouche. Véritable brûlot, il détruit avec méthode la façade proprette et hypocrite d'un "miracle" économique qui a pour ses victimes tous les attributs d'un cauchemar. Ne vous y trompez donc pas : "Bad Movie" est tout, sauf un mauvais film.






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