Une histoire encore plus triste que la tristesse

Le public coréen est friand d'un genre de cinéma très particulier : le film triste. Le cinéma coréen a ainsi produit nombre de films très mélodramatiques, aux intrigues souvent improbables, dont le but avoué est de faire couler un maximum de larmes à leurs spectateurs. A titre d'exemples, on pourrait citer « Sad Movie », ou encore « The Classic ». Ces films lacrymaux touchent une corde sensible spécifiquement coréenne, dans un pays à la sensibilité à fleur de peau et où l'on se méfie des gens qui ne savent pas pleurer...
Dernier exemple en date de film oignon, et événement commercial du mois, le film « Sad sad love », de Won Tae-yeon, vient de sortir sur les écrans coréens. Sorti pendant la période de white day – la deuxième Saint Valentin coréenne -, son but clairement affiché est de tirer le plus de sanglots possibles de son public. Ce but est visible jusque dans son appellation, puisque le titre coréen « Seulpeumboda deo seulpeun yagi » signifie : une histoire encore plus triste que la tristesse.
C'est donc équipé de trois paquets Kleenex et de deux boîtes de Prozac que, dévoué, je suis allé assister pour vous à une projection de la sensation du moment. Le film s'ouvre sur la quête de deux professionnels de l'industrie musicale, qui, tels des archéologues de la tristesse, sont partis à la recherche des origines d'une chanson larmoyante écoutée par hasard. Et ils vont découvrir la poignante histoire de Kay, interprété par Kwon Sang-woo (la star de « Spirit of Jeet Keun Do »), et de Cream, jouée par la belle Lee Bo-yeong. Kay et Cream sont collocataires depuis leur adolescence. Kay est éperdument amoureux de Cream, mais n'ose lui avouer son amour, car voilà: il est porteur d'un lourd secret, il est atteint d'une maladie incurable, et il va mourir bientôt.
Cream est insouciante, elle mord la vie à pleines dents, ignorante du calvaire que vit Kay. Elle tombe amoureuse de son dentiste, interprété par Lee Beom-soo, qui va délaisser sa fiancée pour elle. Un carré amoureux, de lourds secrets, une maladie incurable : l'histoire est sans doute plus triste que la tristesse, elle n'est en tout cas pas plus originale que l'originalité.
Le film est impeccablement réalisé, et il y a même du piano pour souligner au spectateur distrait les moments les plus poignants. Kwon Sang-woo, tout pâlot et constamment au bord des larmes, traîne sa misère pathétique à travers tout le film, et ne quitte jamais son regard morne de pingouin qui regarde impuissant fondre sa banquise. Car il n'arrive pas communiquer avec Cream. Cette impossibilité de communiquer, qui est l'un des thèmes majeurs du cinéma coréen et qui traverse tous ses films quelque soit le genre, est soulignée par une scène étonnante du film : les deux personnages, assis face à face lors d'un repas, en sont réduits à discuter via des textos qu'ils s'envoient sur leurs téléphones portables.
L'histoire avance, peu à peu. La copine du dentiste, une photographe – brillamment interprétée par l'actrice Jeong Ae-yeon, que l'on souhaite revoir bientôt sur les écrans - s'attache à Kay. Mais celui-ci n'a d'yeux que pour Cream, il observe impuissant l'amour de sa vie lui échapper, et l'assiste tout au long de son idylle dentaire et des préparatifs de son mariage avec son regard éteint de baleine échouée sur une plage mexicaine. Son calvaire n'a pas de fin, et il pleure beaucoup.
Et puis, l'histoire rebondit, la situation se renverse : en fait, Cream sait depuis le début que Kay est malade, et elle l'aime secrètement. Mais elle ne lui a jamais dit, et a joué la comédie de l'ignorance, par respect pour lui. Mais elle en souffre plus que jamais, et elle pleure beaucoup elle aussi.
Le mariage entre Cream et son dentiste aura lieu, et la cérémonie déchirante promet d'être un sommet de sanglots, un déluge de larmes, les chutes du Niagara lacrymal. Ce mélo convenu ravira donc les amateurs du genre, et les amoureux en manque d'idées de sortie. Pour les autres, il risque fort de se résumer à la seule chose au fond à laquelle il prétend être : un triste film.





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