Paju

Présenté en avant-première lors du Festival du film de Pusan cette année, le film sud-coréen « Paju » aura l'honneur de faire l'ouverture du Festival international de Rotterdam en janvier prochain. Après « Jealousy is my middle name », il s'agit du deuxième film de la réalisatrice Park Chan-ok, à ne pas confondre avec son quasi-homonyme Park Chan-wook.
« Paju », c'est aussi l'histoire d'une ville. Située dans la banlieue nord de Séoul, tout près de la frontière intercoréenne, Paju a connu ces dernières années un fort développement, attirant nombres d'entreprises et projets immobiliers. Cette ville nouvelle, en chantier permanent et manquant un peu d'âme, est la toile de fond d'une relation complexe et sombre, celle d'une jeune fille et de son beau-frère. Joon-shik est un jeune activiste, interprété par Lee Sun-kyun. Après avoir causé un grave accident au bébé de sa maîtresse, il s'enfuit et trouve refuge à Paju. Il y rencontre une jeune femme, Eun-soo, et se marie rapidement avec elle.
Eun-soo vit avec sa plus jeune sœur, Eun-mo, interprétée par la jeune actrice Seo Woo. Eun-mo est lycéenne, et voit d'un mauvais œil l'arrivée de ce beau-frère ténébreux et mystérieux. Après une fugue et la mort accidentelle de sa sœur, elle se retrouve plus seule que jamais. Mais Joon-shik la recueille et s'occupe d'elle. Alors que ses activités finissent par le conduire en prison, elle le trahit, et décide de s'enfuir en Inde. Quelques années plus tard, Eun-mo retourne à Paju, et retrouve par hasard Joon-shik. Ce dernier a pris la tête d'un groupe de contestataires, qui se battent contre les promoteurs immobiliers et la mafia locale, afin d'empêcher la destruction de leurs maisons...
Ce résumé très rapide est bien insuffisant à rendre compte de la complexité du film : la narration, construite à l'aide de nombreux flashbacks, est en effet très élaborée, et désoriente volontairement le spectateur. Ce puzzle narratif sophistiqué permet de révéler peu à peu, par fragments, la personnalité complexe de Joon-shik, et sa relation avec Eun-mo. Le film impressionne pour son ambiance : la société décrite dans « Paju » est celle d'une société en guerre contre elle-même. Au sens propre : la violence des affrontements entre contestataires et forces de l'ordre rappelle d'ailleurs celle de l'actualité la plus récente et la plus tragique, des six morts de Yongsan en février dernier aux luttes des ouvriers de Ssangyong contre les licenciements. Assauts, cocktails molotov, prison : le film décrit avec talent cette atmosphère de désespoir et cet état de siège, par ailleurs soulignés par les lignes de barbelés de la frontière avec la Corée du Nord, toute proche. Brumes permanentes, pluies, gris du ciel, personnages qui ont tous l'air épuisé, à bout : malgré de légères et rares pointes d'humour, « Paju » est un film sombre.
C'est surtout le mystère entourant Eun-mo qui fascine. La jeune actrice Seo Woo, que l'on avait déjà vue dans « Crush and Blush », interprète avec un talent remarquable son personnage. Eun-mo, petit animal obstiné et silencieux aux yeux trop grands, encaisse de plein front les coups du destin, plie, mais ne rompt pas. Si on ne parvient pas à la comprendre, on reste troublé, et sa présence est un véritable aimant qui scotche le spectateur devant le film. « Je veux vivre », a tagué en grandes lettres l'un des résistants sur le mur de sa maison vouée à la destruction. Ce cri pourrait être celui de Eun-mo, qui tente de survivre au milieu des ruines de Paju et de sa vie. A travers son portrait et celui de Joon-shik, la réalisatrice dresse le portrait d'une société dure, où peu d'espoir est permis, et où chaque nouvelle personne rencontrée, surtout si elle porte un costume, est une menace.
Park Chan-ok aurait passé cinq ans à travailler sur ce projet. Ces années n'ont pas été perdues : complexité du scénario, talent des deux acteurs, qualité de la photo et réalisation remarquable, la réalisatrice coréenne a produit là un film d'art et d'essai très réussi et talentueux. Même si l'austérité du sujet vous rebute un peu, n'hésitez pas à vous laisser entraîner par cette histoire tragique et cette énigmatique jeune fille.






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